Adoption86

Un enfant à tout prix

Lundi 27 janvier 2014 à 14:41

Témoignage de parents

La France a gelé toute procédure dans l'attente d'une signature par Port-au-Prince de la Convention de La Haye. 

Avant le séisme en Haïti de janvier 2010, Sophie et Marc avaient engagé une procédure d'adoption. Leur fille, Adèle, est finalement arrivée en France en août dernier. Depuis, les soucis administratifs s'accumulent. Presque un an plus tard, leur enfant ne bénéficie pas d'une adoption plénière. Seule une adoption simple lui a été accordée par le tribunal de Versailles (Yvelines), contrairement à sa grande sœur, Flore, adoptée elle aussi en Haïti il y a plusieurs années. «Psychologiquement c'est difficile, il y a une différence entre nos deux enfants, c'est lamentable», déplore la mère adoptante. Sur ses papiers, qui expirent en août 2011, Adèle est toujours haïtienne et porte son prénom d'origine, Alexandra. «Notre fille n'est pas inscrite dans notre livret de famille. C'est comme si la loi considérait que nous sommes des semi-parents», témoigne Sophie, dépitée.

Impossibilité juridique de modifier le prénom de son enfant, difficultés en matière d'héritage et d'acquisition de la nationalité : selon Nadine Bihore-Pinget, présidente d'Adoption sans frontières, «l'adoption simple n'assure pas des droits aussi protecteurs qu'une adoption plénière». Après l'émotion du rapatriement de centaines d'enfants en 2010, sous l'égide du gouvernement, ce flou irrite les associations. «Les familles sont inquiètes car elles pensent que la sécurité juridique de leurs enfants n'est pas assurée», confie Geneviève Miral, présidente d'Enfance et familles d'adoption.

 
 

Ce statut moins protecteur découle du droit haïtien qui ne reconnaît pas la rupture irréversible et définitive du lien de filiation, dans un pays où la plupart des enfants proposés à l'adoption ne sont pas orphelins. «Jusqu'en 2009, certaines familles ont pu obtenir malgré cela la conversion en adoption plénière, en faisant signer aux parents biologiques un consentement éclairé devant un notaire», explique un porte-parole du ministère de la Justice. Mais le gouvernement de Port-au-Prince a mis fin à cette pratique en 2009.

Conférence internationale 

Depuis, les tribunaux français ne tiennent pas forcément compte de cette décision. Un dossier équivalent peut ainsi donner lieu à une adoption plénière à Pau ou à Poitiers, alors qu'il aboutira à une adoption simple à Versailles. Soucieuse d'éviter des différences de traitement entre enfants, la Chancellerie a adressé en décembre une circulaire pour «rappeler aux parquets les règles en vigueur» - c'est-à-dire leur recommander de requérir une adoption simple dans le cas des enfants venus d'Haïti. L'association EFA (Enfance et familles d'adoption) a déposé un recours contre ce texte devant le Conseil d'État.

«Ce problème sera définitivement réglé le jour où Haïti aura signé la Convention de La Haye sur l'adoption internationale. Une fois ce pas franchi, un petit Haïtien pourra être adopté comme n'importe quel autre enfant», souligne-t-on au Quai d'Orsay. En attendant, la France a gelé toute nouvelle procédure dans ce pays. Une conférence internationale sur le sujet doit se tenir en juin à Port-au-Prince.








Wensly 1

Début 2014, Janique et Frédéric sont partis en Haïti rencontrer Wensly, qu'ils vont prochainement accueillir au sein de leur famille. Récit d'une "période de familiarisation", telle que l'impose désormais la nouvelle loi haïtienne.

Partis à deux le 1er janvier à 5h45 (Chadoune étant restée chez ses grands-parents) avec une navette en direction d'Orly, faisons connaissance d'un couple de Portes près d'Evreux avec lequel nous ferons le voyage.

Nous décollons à 12h00 en direction de Port-au-Prince via Point-à-Pitre ou nous changeons d'avion. Ce voyage se passe très bien et nous sommes heureux de nous rapprocher de notre petit loulou; de le rencontrer, de mettre un visage sur ce prénom "Wensly" pour lequel aucune photo n'a été remise à l'apparentement. Mais nous étions encore très loin d'imaginer l'ampleur du bonheur qui nous attendrait durant ces 19 jours.

Donc, arrivés à Port-au-Prince aux environs de 18h00(heure locale), Jude, le patron de la pension de famille où nous passerons la 1ère et dernière nuit, nous attendait à l'aéroport. 

Le lendemain en fin de matinée, arrive Edith, la directrice de crèche pour nous emmener à Sapaterre à 105 kms de Port-au-Prince. 2h30 de route qui nous paressent interminables.( route en lacets, montagne, circulation difficile).

Puis enfin arrive la rencontre avec Wensly qui fût très émouvante, impossible de contenir les larmes. Petit garçon décrit comme très calme et réservé, va très vite prendre de l'assurance avec nous puis se lacher complètement.

Nous mous sommes retrouvés à 4 familles adoptantes: 3 d'Accueuil et Partage et 1 de Timalice. Pour nous loger, nous avons séjourné au centre Emmaüs de Papaye près de Hinche(grande ville du centre) à environ 20' de route de la crèche.(Le centre Emmaüs est un lieu tenu part des pères et des frères acceuillant des gens de passage pour séminaire, ONG, familles adoptantes...): lieu très calme et verdoyant, qui permet de se détendre mais qui, à la moindre occasion se transforme en lieu de fëte pour quelque évèvement.

Wensly 2

Une journée type à la crèche:

Arrivée à 10h30 à la crèche, les enfants sont dans l'école, qui sert également de lieu pour la sieste et la pose repas du soir.

La classe à lieu de 9h00 à 12h15, un enseignement de base y est donné avec une maïtresse venant de l'extérieur.

Arrive le rituel de lavage des mains avant la petite prière puis le dîner des 24 bouts de choux de la crèche. Le repas est pris dehors à l'ombre d'un arbre.

Pendant ce temps, nous prenons le notre dans la cuisine. Puis arrive la pause café où nos enfants nous rejoignent; afin de passer un moment de détente avec eux, nous leur donnons quelques biscuits et de l'eau. Il faut dire que c'est un moment que nous avons particulièrement apprécié.

Vient ensuite la douche pour tout les enfants; ils sont appelés chacun leur tour.

Une fois lavés et changés, ils vont à la sieste. Pendant ce temps, nous effectuons certaînes tâches: rangement divers( vêtements, médicaments, fournitures d'école...).

Vers 16h00, nos enfants se réveillent chacun à leur rytme et nous rejoignent à l'intérieur pour prendre un petit goûter et jouer. Ces moments plus intimes nous ont fortement rapprochés.

Nous sortons ensuite à l'extérieur pour jouer avec nos timouns mais aussi avec les autres, dont certains; en manque d'affection, nous prennent par la main ou nous demandent de las prendre sur nous.

A 18h00, il fait presque noir et c'est presque l'heure de souper; les enfants s'installent autour de la table pour prendre le repas. Vient l'heure pour nous de les quitter la car le chauffeur du centre est déjà là.

Lors de notre séjour, nous avons été vu à deux reprises par les travailleurs sociaux pour qu'ils puissent faire leur rapport à l'IBESR ainsi que par le Doyen du tribunal civil de Hinche(lequel nous a accueilli avec la radio qui braillait): preuve de notre présence dans le pays.

Nos 19 jours en Haïti sont passé très vite. ( même pas eu le temps de lire nos livres que nous avions emportés).

Le départ de la crèche a été très douloureux et déchirant. Nous avions expliqué à Wensly que nous repartions en France afin de préparer la maison pour sa venue. A cet age, nous ne savons pas s'il a bien compris. Des photos de nous ont été accrochées dans la crèche pour que les nounous puissent les lui montrer de temps en temps.

Nous savons que les enfants sont très biens pris en charge et soignés correctement.

Espérons repartir très vite en Haïti pour aller chercher notre "bout de choux".

Nous souhaitons à toutes celles et ceux qui partiront en Haïti, de vivre ce que nous même avons vécu en bonheur, émotion, joie, dépaysement et enrichissement culturel.

Janique, Frédéric et Chadoune qui attend son petit frère.

http://www.apaehaiti.fr/cms/


Tinan, témoignage d’un enfant déraciné

Il n’a même pas 5 ans lorsqu’il débarque à Roissy. Parmi d’autres enfants haïtiens adoptés par des familles françaises. Nous sommes en 1984. Tinan ne comprend pas qui est cette femme blanche qui le serre dans ses bras, il ne sait pas dans quel pays il est, ce qu’il fait ici. Le petit garçon est complètement déboussolé, dépaysé. Mais il comprend vite qu’il ne reverra plus sa maman, restée en Haïti. L’histoire d’un enfant « déraciné », aujourd’hui devenu un adulte engagé.

Tinan, témoignage d’un enfant déraciné
Tinan a aujourd'hui 31 ans et vit toujours en France.
 

Où viviez-vous avant votre départ pour la France ?

Ma mère m’avait placé dans une crèche. Ce n’était pas un établissement de départ pour l’adoption. C’était en fait un endroit dans lequel les parents plaçaient leurs enfants pour un temps avant de venir les récupérer. Ma mère n’avait pas les moyens de nous élever, mon frère et moi. Elle m’a donc placé dans cet établissement, le temps d’améliorer sa situation. Nous étions une quarantaine d’enfants à vivre dans ce centre.

 

Comment vous êtes-vous retrouvé dans cet avion pour la France ?

Je ne me souviens pas clairement de ce qu’il s’est passé. Je n’avais que 4 ans et demi lorsque j’ai débarqué sur le sol français ! Je ne me souviens pas qu’on m’ait dit qu’on allait en France mais de toute façon, ça n’aurait rien voulu dire pour moi.
Nous étions plusieurs enfants dans l’avion, mais je ne sais pas combien. Je me souviens de l’atmosphère pesante de ce voyage, je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose d’anormal.
Je voyais des choses que je n’avais jamais vues avant : d’abord ce gros appareil qui vole et une fois arrivé, toutes ces personnes blanches et ce froid… Je n’ai pas compris tout de suite ce qu’il se passait mais j’ai compris que je ne reverrai pas ma mère. J’étais dérouté par cette femme blanche, en larmes, qui s’est jetée à mes pieds à Roissy.

 

Vous savez aujourd’hui qui avait organisé ce départ?

Il est difficile d’avoir des pistes, de savoir qui a décidé ce départ, comment cela s’est exactement déroulé… Mais pour moi, l’essentiel n’est pas de retrouver aujourd’hui les responsables. L’essentiel, c’est surtout de mettre en garde : ce qui m’est arrivé à moi est également arrivé à au moins 40 autres enfants à l’époque…Et j’ai bien peur qu’aujourd’hui, ces pratiques ne soient plus courantes qu’on ne le pense.

On a tendance à minimiser le déracinement mais pour les enfants, c’est terrible. Le confort gagné dans un pays comme la France ne compense pas le déracinement subi par l’enfant ! Pour un enfant qui n’a plus de parent, c’est différent. Mais dans mon cas, certains adultes ont cru faire une bonne action alors que je n’avais pas été vraiment abandonné.

 

C’est un appel que vous lancez aujourd’hui ?

Oui, lors des procédures d’adoption, il faut faire attention aux risques de trafic d’enfants !  Des gens en Haïti profitent de l’argent donné par les familles d’accueil, il ne faut pas alimenter cela. Les Etats et les grandes organisations comme l’Unicef doivent contrôler ces procédures d’adoption. Des enfants touchés par ces trafics, il y en a forcément plein, il y a de l’argent qui circule et donc des détournements… Lorsqu’on adopte un enfant, il faut pouvoir vérifier toutes les étapes, sinon on alimente ce trafic.

Il y a des abus. Par exemple, dans mon cas, quelqu’un avait fait signer un papier d’abandon à ma mère biologique. Mais elle ne savait pas lire, elle ne savait pas ce qu’elle signait !

 

Comment avez-vous retrouvé votre mère et votre famille biologiques ?

En 2001, je cherchais depuis longtemps à retrouver la trace de ma famille biologique, j’avais mon nom d’origine et mon lieu de naissance pour cela. Le vrai problème était de pouvoir aller en Haïti sans connaître personne, ni la langue, et sachant que le niveau d’insécurité est très élevé…
Une amie, ici en France, communiquait par Internet avec un Haïtien. Elle nous a mis en contact… et ce garçon avait entendu parler de moi ! Un hasard total : il était ami avec mon cousin qui avait raconté mon histoire, celle du petit Manassé – c’est mon prénom Haïtien – disparu de la crèche.

Ma mère m’a appelé plusieurs jours plus tard. Quelle émotion de l’entendre… Ma cousine sur place a joué l’interprète au téléphone, ma mère parlant créole et moi uniquement le français…

En 2002, je suis retourné pour la première fois en Haïti : je pensais être accueilli comme une bête curieuse mais pour ma famille, je n’étais pas « l’Européen ». C’était comme si j’avais toujours été avec eux… Et j’ai retrouvé mon surnom, maintenant je me fais à nouveau appeler « Tinan ». C’est mon « non jwèt », comme on dit là-bas.

 

Votre mère biologique vous a reparlé de votre disparition ?

Oui, elle m’a raconté que lorsqu’elle était venue me chercher à la crèche, il n’y avait plus personne. Ni enfants, ni personnel. Un choc. Toutes les rumeurs couraient sur nous : nous avions été tués, victimes d’un trafic d’organes, adoptés… Mais ma mère ne s’est apparemment jamais dit que j’étais perdu. Sa foi l’a aidée à tenir. Et elle a partagé sa douleur avec les autres mamans dont les enfants ont disparu.

 

Quel adulte êtes-vous aujourd’hui, toujours déraciné ?

Aujourd’hui, j’ai toujours l’impression de n’appartenir à rien, d’être perdu entre deux mondes. Il me manque des repères. C’est déstabilisant. Mais j’essaie de me raccrocher à des choses concrètes. Je veux par exemple aider d’autres Haïtiens qui ont été déracinés comme moi à retrouver leurs familles biologiques s’ils en éprouvent le besoin.



 

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